- Détails
- Écrit par : Centre Presse
Publié le Centre Presse Aveyron
Président de la chambre d’agriculture, Jacques Molières nous a accordé un entretien pour faire le point sur les problématiques de la "Ferme Aveyron", dans tous les domaines. Et parler des nombreux défis à relever.
Pénurie d’eau, inflation, énergies renouvelables, renouvellement des générations, loup ou encore vautour, tour d’horizon avec Jacques Molières, président de la chambre d’agriculture.
Quel regard portez-vous sur la situation agricole dans le département ?
L’agriculture aveyronnaise s’est bâtie sur un équilibre entre les Hommes avec des gens responsables, l’économie avec des exploitations à taille humaine et le territoire. On n’a pas fait n’importe quoi. Il faut garder cet équilibre, préserver cette mosaïque sur le territoire, l’agriculture aveyronnaise se porte bien, il y a plus mal ailleurs. Le challenge pour assurer l’avenir passe par le renouvellement des générations.Justement,
comment se porte l’Aveyron sur ce point ?
L’Aveyron est le premier département en termes d’installation. C’est un choix important de produire sur le sol pour le réserver aux animaux. Il y a du mieux avec quasiment un renouvellement sur deux exploitations. Mais il y a quelques sujets qui me dérangent. On parle d’organisation du travail avec la semaine à quatre jours, or les éleveurs aveyronnais ne savent pas ce que sait. La génération qui arrive, va avoir besoin d’une organisation de travail basée sur des actifs qui pourront aussi être remplacés. Il faut donc pousser au collectif par le biais de Gaec (groupement agricole d’exploitation en commun) ou de société, c’est le message que j’ai répété lors de l’inauguration de la Maison des Cuma (coopérative d’utilisation de matériels agricoles, NDLR) mi-septembre pour garder une agriculture à taille humaine.
Quelle est votre position concernant les énergies renouvelables ?
Je veux qu’on prenne en compte l’hydroélectricité. On produit en Aveyron trois fois plus ce que l’on consomme, c’est le point fort du département. Montézic est un exemple en France, c’est la deuxième station de transfert d’énergie par pompage (Step), on peut la doubler, on ne le met pas assez en avant, on ne pousse pas assez en Occitanie. Concernant l’éolien, il y a 160 machines installées en Aveyron, deuxième département d’Occitanie, c’est pas mal. Il faut un cadre pour ne pas faire n’importe quoi car il n’y a pas d’avis conforme, le préfet peut déroger à la règle. On a tendance à faire des mâts de plus en plus haut, il faut se calmer.J’avais proposé de prendre dix fois la hauteur du mât pour voir les effets dans le rayon, cela réglerait des problèmes, notamment dans l’Ouest-Aveyron. Quant au photovoltaïque, la position est très claire, il y a encore de la place sur les toits agricoles, industriels, des collectivités, le problème est que la connexion n’est pas encore réglée par EDF et RTE n’est pas en capacité de transporter toutes les énergies. En revanche, on ne veut pas de photovoltaïque au sol pour réserver la production agricole et maintenir l’élevage. Il ne faut pas banaliser le département, il faut garder une agriculture de qualité. Si on plante du photovoltaïque partout, on va perdre l’attractivité touristique qui est la deuxième économie du département, les gens viennent pour Soulages mais aussi pour les paysages. Cette position est commune avec le Département. En termes d’énergies renouvelables, on a des leçons à recevoir de personne.
La commune dont vous êtes maire, Montbazens, abrite le plus gros projet de méthanisation qui est à l’arrêt. Qu’en pensez-vous ?
C’est compliqué à démarrer. Je suis réservé sur l’unité de Montbazens comme les autres gros dossiers en Aveyron, à savoir sur l’Aubrac et celui de Bozouls dont la chambre d’agriculture a voté contre (la préfecture a donné le feu vert au projet au début de l’été, NDLR). Il faut que cela reste des outils de territoire et j’ai peur que cela devienne à terme, des outils industriels où l’agriculteur n’aura plus son mot à dire. Les agriculteurs demandent de tomber à 5 % l’utilisation de cultures intermédiaires dans le méthaniseur, aujourd’hui on peut aller jusqu’à 15 %, c’est trop.
Certains détournent les affaires sur des petits méthaniseurs en appelant des Cive (culture intermédiaire à vocation énergétique). J’ai découvert des Cives de printemps, c’est-à-dire avec l’utilisation de maïs, il faut qu’ils arrêtent ces conneries. Il faut de la cohérence. Je suis plus réservé aujourd’hui sur la méthanisation.
Regrettez-vous ce projet dont le montant s’est élevé à 23 M€?
Je ne regrette pas mais il faut tout faire pour que cela reste un projet de territoire, rester à taille humaine. On ne peut pas mettre en l’air l’outil, il y a eu des erreurs de maîtrise d’œuvre, il faut revoir la conception, remettre de l’argent autour de la table est sans doute la moins mauvaise
solution. Le mieux est de mettre un méthaniseur au “cul de la stabulation”, en autonomie, éviter les transports. Le problème de Méthan’Aubrac est l’absence de lisiers et de fumiers toute l’année, il faut aller chercher de la nourriture pour le méthaniseur dans toute la région, on n’est plus dans l’écologie.
Face à la pénurie d’eau, vous aviez annoncé « vous mettre au boulot » sur les capacités d’irrigation avec un appel à projet pour des petites retenues, où en êtes-vous ?
On est sur une réflexion globale avec le Département, l’État, l’agence Adour Garonne suite à la sécheresse de 2022. Je pense que la solution est de faire une grosse réserve pour alléger la pression sur les lacs. J’espère acter cette réserve et je suis favorable pour annoncer le lieu début
octobre. Cette réserve sera bien intégrée au territoire sans risque de polémique qui servira à l’irrigation, au tourisme et à la solidarité pour d’autres départements. Je suis d’accord quand on lâche 5 millions de m3 de Pareloup cet été pour l’eau potable à Montauban et refroidir la centrale nucléaire de Golfech, on fait notre part de solidarité, mais le premier débat sur l’eau est l’économie. En ce sens, il est prévu d’ouvrir incessamment une deuxième usine avec le syndicat d’eau de Montbazens-Rignac à Lassouts.
On peut aussi imaginer une Step comme celle de Montézic à Pareloup. Cela permet de stocker l’eau car l’eau continuera à tomber autant mais différemment dans l’année. Tout est à bâtir.Les petites réserves de moins de 50 000 m3 sont soumises à déclaration, c’est une bonne chose, c’est moins onéreux, maintenant il faut référencer ces réserves et trouver des solutions pour le financement.
Quelles sont les pierres d’achoppement sur le plan agricole ?
Les stocks sont faits normalement. Le plus ennuyeux pour l’élevage porte sur les prédateurs. Il faut réguler la population du loup. L’agriculture aveyronnaise est basée sur l’équilibre, en France, on n’a pas la notion d’équilibre. On n’a jamais demandé l’extermination du loup comme du
vautour, on demande un retour à l’équilibre pour vivre décemment. La chambre d’agriculture a demandé des tirs d’effarouchement sur le vautour, ce n’est pas encore refusé. Je dois rencontrer la Dreal (Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement) et le préfet de Région prochainement sur ce sujet. Cela pourrait être autorisé sous certaines conditions, de manière que l’éleveur puisse travailler sereinement.
Ma crainte porte aussi sur la hausse des prix. La variable d’ajustement était toujours l’acte de production qui reste le parent pauvre. Quand j’entends le ministre dire « qu’il faut revenir au panier de la ménagère », je ne voudrais pas que la variable d’ajustement soit de nouveau la production. On a invité le ministre de l’Agriculture, on va voir s’il va venir.Sur le plan sanitaire, on assiste à un retour de la fièvre catarrhale ovine.
Que préconisez-vous ?
Il faut rester prudent, gérer en bonne intelligence, inciter à vacciner. C’est une petite crise, 250 élevages sur 5 000 élevages, ce n’est pas alarmant. Il ne faut pas que l’on verrouille les frontières pour les exportations, il y a d’autres départements bien plus touchés qui en parlent moins, et de rappeler qu’il n’y a aucun risque sur le plan humain.
Repartez-vous en 2025 à la tête de la chambre d’agriculture ?
Non, cela fera quinze ans, il faut savoir s’arrêter. Je ne nommerai pas mon successeur, je l’aiderai s’il a besoin. On en parlera en 2024.
La chambre d’agriculture de l’Aveyron est l’une des plus importantes de France car elle a des prestations de service qui font 13 M€ de chiffre d’affaires dont 5 M€ avec l’élevage. Il faut donc être en contact direct avec les éleveurs, garder cet équilibre, à taille humaine. Quand j’entends
le diktat de Paris qui met au même niveau l’agriculture de la Marne et de l’Aveyron, on marche sur la tête.
On pilote la France avec des statistiques. C’est le problème du centralisme, on le paye, c’est idiot.
On oublie l’intérêt général.
Repères
13 M€ de budget
167 salariés
7 637 exploitations dont 3 117 sous signe officiel de qualité
791 exploitations laitières
10 641 chefs d’exploitation
1 414 salariés agricoles
2 000 Gaec
157 installations en 2022
160 286 vaches allaitantes
503 697 brebis laitières
105 357 brebis viandes
174 410 truies
46 762 chèvres
27 % de l’élevage d’Occitanie provient du département.
1er département ovin de France,
1er département bovin d’Occitanie.
3e département de France en bio avec 13 % des surfaces, près de 900 exploitations
250 élevages sur 5 000 touchés par la fièvre catarrhale ovine.
- Détails
- Écrit par : valeurs actuelles
Michel Fournier
Valeurs actuelles. Qu’est ce qui vous dérange dans la méthanisation ?
Michel Fournier. La méthanisation ne me dérange pas en soi, ce qui me dérange ce sont certaines pratiques qui se font autour. Pour faire fonctionner ces usines de méthanisation, nous assistons à un excès d’apport de matières vertes alors que ces unités devaient essentiellement se nourrir à partir des résidus de type fumier ou d’effluents d’élevages.
Cet apport végétal vient souvent du maïs, qui n’est cultivé que pour remplir ces usines.
D’un bien fondé à produire de l’énergie verte, nous arrivons à une déviance. Car ce maïs, on va le chercher de plus en plus
loin, avec des engins très puissants de gros tonnages. Les chemins ruraux en pâtissent, la sécurité sur la route est même impactée, car les véhicules ont tendance à rouler à trop grande vitesse.
Ça devient un réel souci en milieu rural.
Pourquoi un tel engouement vers cette nouvelle forme d’énergie dans le monde rural ?
La raison de tout ça, c’est un aspect financier. Un hectare de maïs cultivé pour la méthanisation va avoir une valeur bien supérieure que s’il était utilisé pour l’alimentation du bétail par exemple. Ce maïs qui va directement dans la méthanisation va rapporter jusqu’à trois fois plus que s’il était utilisé pour autre chose.
Cette nouvelle forme de culture pose-t-elle un problème ?
Cela ne me semble pas cohérent que la terre, qui est faite pour nourrir une population, soit détournée ainsi, à une époque où nous manquons de productions dans beaucoup de domaines, que ce soit dans les fruits et les légumes par exemple. Nous sommes déficitaires en matière de production alimentaire, ce qui est incroyable dans un pays comme la France et ce détournement de l’utilisation de la terre entraîne des interrogations chez les producteurs.
Peut-on parler d’une réelle explosion des usines de méthanisation en monde rural ?
Les usines se multiplient sans aucune concertation, ni organisation. Un groupe d’exploitants peut facilement mettre en place une méthanisation. Il peut même y avoir deux unités l’une à côté de l’autre. Nous assistons effectivement à une forme d’explosion et cela gêne les élus. Ces unités utilisent des surfaces qui ne sont pas sujettes à une imposition quelconque.
A titre de comparaison, une même surface occupée par une importation industrielle ou commerciale classique va payer une taxe foncière, alors qu’une occupation dédiée à la méthanisation ne payera rien.
C’est complètement inégal. Je constate également que les communes sont soumises à des restrictions de bâti, mais étrangement pas pour ce genre d’infrastructures liées à la méthanisation.
Certes, les investissements sont lourds pour ces installations, mais quand on voit le nombre de réalisations qui existent, on se doute que le retour sur investissement est bien réel. Les petites unités sont subitement devenues très grosses alors que la potentialité n’a pas augmenté localement.
Et ça va malheureusement continuer. Ça veut dire que ce n’est plus une affaire de traitement de déchets, mais bien une affaire financière.
Que peut faire le maire ?
Le maire n’a aucun pouvoir là-dessus. Les exploitants sont bien structurés, ce sont des indépendants qui s’installent comme ils le souhaitent. Ce qui dérange les maires ruraux c’est qu’il va y avoir beaucoup d’exploitations agricoles traditionnelles qui vont s’arrêter par manque de recettes.
Une spéculation de cette terre disponible va se faire au profit de la rentabilité qui s’orientera vers de la méthanisation.
Je connais beaucoup de maires qui s’interrogent sur cette réalité.
Nous ne sommes pas contre la méthanisation, mais sur un équilibre.
Or, on part sur des installations qui entraînent déjà des déséquilibres économiques mais aussi écologiques car le résidu des usines, le digestat, commence à inquiéter les agriculteurs en raison du nitrate qui appauvrit les sols.
Jusqu’à quel point le monde rural peut-il être impacté ?
La modification des cultures existe déjà. On voit les surfaces de mono-culture exploser dans les campagnes pour cultiver uniquement du végétal pourtant très consommateur en eau. Alors qu’on nous parle régulièrement de faire des économies en eau, je trouve que nous sommes dans la contradiction la plus totale.
Quand je repense à l’été très chaud que nous avons eu et les prochains qui vont arriver, je me dis que le monde agricole est très concerné
par le réchauffement climatique. Si tout est sec pour nourrir les bêtes avec du foin parce que tout est brûlé et qu’à côté se développe de la culture pour nourrir de la méthanisation, on peut à terme arriver à un risque de conflits intra-professionnels. Et nous risquons d’arriver à cette impasse pour de l’argent gagné trop facilement.
Avez-vous évoqué vos craintes au gouvernement ?
Les ministères intéressés semblent découvrir la situation et évoquent la surprise alors qu’ils sont concernés en premier lieu. C’est étonnant. Pour l’instant, ils s’interrogent…
Comment sortir de cette situation ?
Le prix du lait qui permet de faire vivre un agriculteur est trop peu valorisé, alors que le prix de l’électricité est très valorisé, en particulier pour de l’énergie renouvelable. Il n’y a pas 50 solutions, il faut faire en sorte qu’il n’y ait pas de concurrence disproportionnée entre le fait de produire de l’alimentation ou de l’énergie. L’énergie dite verte est aujourd’hui super subventionnée, comme ne l’est pas la production agricole classique et ça joue sur le prix du lait ou de la viande par exemple.
Que préconisez vous ?
Il faudrait mieux rémunérer les produits agricoles pour l’alimentation en France, mais on ne fait pas ce choix car nous préférons subventionner de l’énergie verte. L’Etat a sa part de responsabilité, tout comme le consommateur qui cherche trop souvent le produit le moins cher, sans tenir compte de la provenance des produits.
Toutes les publicités de la distribution clament « le moins cher », or il faudrait « le juste prix » !
Nous sommes dans le moins-disant dans la production alimentaire alors qu’il faut le mieux-disant.
Pourquoi les médias traitent- ils assez peu de cette dérive de la méthanisation ?
Ce n’est pas connu du grand public en effet, et je pense que malheureusement beaucoup de monde s’en désintéresse…
Pour un aéroport, on trouve des révolutionnaires de tout ordre réagir ou des zadistes faire des kilomètres, mais pour ce problème là qui n’est jamais repris par les médias, je n’entends pas grand monde.
C’est pour cela que j’ai aussi envie de dénoncer ces abus.
Il est grand temps de les révéler.